Le tableau retrouvé







Un homme marche sur une route tracée de campagne. Chevalet sur le dos, toile vierge sous le bras, le peintre entre dans la peinture. Son visage s'écrase dans la jungle noir bleuté. Les feuillages et tournesols enlacent d'huile et de chair Vincent Van Gogh. Un chiffon de lin imbibé d'obscur s'accroche aux branches d'arbres. Son coeur noir palpite dans le magma luisant. Vincent Van Gogh traverse la nuit de l'homme. Le peintre marche sur les cendres et braises. Ses mains creusent le vide, ses pas brûlent dans l'abîme des âmes. La glaise noir bleuté étreint amoureuse son corps exalté. Yeux en extase, le peintre voyant absorbe les lumières intérieures de la matière. L'huile de lin fiévreuse coule le long de la toile translucide, oint les mains meurtries de Vincent Van Gogh.







Franck Longelin - Le tableau retrouvé - 2009



Sous la lune








Invisible suis-je
Les clartés de la plage m'étonnent
Sortir des barbelés, dépasser les haies
Commencer à franchir les rêves
Les frontières ne m'interdisent rien
Je laisserai les semences sur les parcelles inexploitées des rêves
Des terres fertiles jaillissent des plantes inconnues, des arbres nouveaux
Agrandir, enrichir mes espaces de nuit
Mon âme n'évolue qu'en des endroits légers de brume, de vents chauds, de parfums de fleurs mortes
Il y a des vallées et des nuits que je te cherche...









Christine Bataille - Sous la lune - 2009



L'orante







La jeune fille habillée d'aube dormait dans les prières et caves. Sa face, le soleil voilait. Sa robe restait lumineuse le temps de ses rêves. Sa voix priait dans le sommeil les yeux absents et le visage clair. Ses mains jointes pressèrent si fort ses jeunes seins, une sublime lactescence coula doucement sous le lin saint. Blancheur nacrée, délicieuse que goûta l'Invisible. Sa bouche roulait des mots d'or, embrassait de près le secret. Son coeur amoureux respirait profondément, palpitait au rythme du Souffle, de ses lèvres sort une longue syllabe aiguë.




John Everett Millais - Ophelia - 1852


Jeanne








Le bruit d'ailes de l'Archange, le froissement de robes des Saintes, elle entendait. Son coeur déjà s'ouvrait vers le grand chemin. Étoile de la bergère. Elle traversa prairies et horizons, le corps aimanté par la Voix. Son cheval blanc emporté, sa taille ceinte d'une épée auréolent l'espace autour d'elle. Son feu brûle pour Dieu. Désir croisé d'un corps brûlant et d'un long chant. L'ardeur de son corps, le coeur enflammé, l'arc de ses sourcils levé vers l'azur, elle entendait déjà le plus Haut. Ses yeux blancs retrouvèrent le Rêve. Souffle. Dans le vent de nuit, au loin le galop impétueux du cheval blanc, sa cadence accompagne le chant de sa Lumière.








Eugène Thirion - Jeanne d'Arc et l'Archange Michel - 1876


Lui






La main du peintre étale les cris du mur froid. Appel. Main tendue vers Lui. Nuit et prières. La porte de l'atelier ouverte vers les étoiles. L'arbre silencieux dans ses feuilles. Oiseaux absents. Le peintre pleure dans l'ombre de ses repentirs. Le regard perdu, il Le cherche. Bleu de chaux tombe dans son Âme. Il éclaire son Visage. Mains du peintre guidées. Magies tempérées. L'homme dans l'arbre L'a vu. François aussi. Ses mains s'ouvrent vers les oiseaux, chemins aérés de parfums inconnus, sauveurs. Lieux réinventés. Là. Lui. Partout Il est, dans la ligne, dans la couleur. Bleue de Lui. Nul mirage. Tangible dans ce bleu fait de pierres de craies de sables d'eaux. Le peintre plongé dans le mur frais. Pas de lamentations. Simplement joie, enfants, oiseaux autour de Lui.






Giotto di Bondone - Entrée du Christ à Jérusalem - vers 1304


Judas




« L'un de vous me livrera ». Jésus trempe une mie blanche de vin aigre. Son regard se tourne vers Judas. Dans le silence des visages, sa main, sa mie, près de la bouche de Judas. Ses lèvres tremblantes, il goûte. « Ceci est mon corps ». Les yeux fermés, la nuit tombe sur lui. Dans l'ombre, Judas souffre. Il sort aussitôt, le ciel étoilé. Un oiseau bat de l'aile sur une branche d'olivier. Depuis longtemps. Judas tourmenté traverse collines et vallées. De rares vents soufflent autour de lui. Il court bousculé par le souffle glacial. Des éclairs surgissent sur des champs de terre bleuie. Partout des branches de bois brûlées, des ailes d'oiseaux arrachées, des cris d'animaux à l'agonie. Judas sème la mort. Après maintes traversées, il se repose dans un champ de vignes. Dans le silence du paysage, une grappe nourrie de soleil près de sa bouche. Les lèvres assoiffées, Judas baise le fruit béni, savoure. « Ceci est mon sang ». Les yeux ouverts, le ciel tombe sur lui. La grappe dans ses mains, écrasée. Meurtrie. Judas a vu. Pris de remords, il court. Sa main. Ses lèvres. Son visage. Loin de Lui. Ses cheveux. Ses pieds. Son corps. L'oublier. Judas voit un arbre. Une branche. Une corde. Le dernier paysage. La dernière brume. Fièvre de Dieu. Judas quelque part vers la terre promise...



Franck Longelin - Conversation - 2005



Lin seul



 

Son Corps ! Son Nu ! Sans vie ! Le Corps rêvé descend vers le plus bas de Lui-même, dans l'obscurité de son Âme. Seul. Sa Voix sur la Croix résonne encore dans le jardin, son Haleine de roses et d'épines se répand sur les fleurs. Arbres émus. Un parfum d'éternité plane dans le jardin de nuit planté de miracles. Son Corps longé de lin, de myrrhe, d'aloès embaume les étoiles les saints les oiseaux. Huile et tristesses. La nuit est longue. Seule son Étoile brille, s'ouvre déjà vers l'aurore. Son Corps. Son Nu. Libérateur.



Rogier Van der Weyden - Déposition de Croix - vers 1440


Air riflé





L'ère mentale sombre se couvre d'impasses et de descentes.
Salves.
Les clartés sélènes obscurcissent les silhouettes collées aux murs.
Salves.
Les murs seuls sont liberté et issue.
Salves.
La valse des âmes se décolle des murs.
Salvateurs.
Les sclères rougies retrouvent intérieur le ciel.
Sauveur.




Francisco Goya - Le 3 mai 1808 - 1814


Le chien








Le chien nocturne, derrière les verrières bleues, pattes bondissantes dans les talus, l'ombre du chien règne, dans la ménagerie de verre. Ne fait jamais de bruit, le voyant à travers mes plantes, la lune lui dessine une silhouette étrange. Toutes les nuits vers minuit vingt, passait derrière le buisson, le chien errant éperdu de mon jardin, perlé boutonné de roses blanches. J'entendis une voix au loin, le chien disparut sans bruit, dans un silence pareil à la nuit. Tapi dans les herbes fleuries, riait aux abois, et souriait aux acanthes, le chien dont je ne connaissais son nom. Son ombre noire cernée de doré, traînait derrière lui une lueur, poudre dorée sur les Albines, fleurs et ailes de papillons de nuit, batifolant dans l'herbe douce.








Francisco Goya - Le chien - 1823




Eohippus



Les sentiers bleu outremer de l’autre côté de la villa mènent à la prairie des chevaux aux herbes folles. Mes pas perdus s’emmêlent dans le puzzle des empreintes sabotées des équidés. Les papillons de nuit s’accrochant follement à mon pantalon blanc m’emmènent vers le chemin obscur des héritiers de l’eohippus. Mes espadrilles couleur de lune tachées d’herbes mouillées boivent l’exquise rosée de la nuit. Je respire la fraîcheur de mes foulées prises dans le sillon galopé. J’avance à grandes emballées quand une odeur de crin fauve étreint mon corps perlé de fièvre équine. À travers les arbres endormis, je vois défiler des ombres en amazone sur les isabelles emportées dans les croisades infinies. Un bonheur rare et nouveau m’attend encore… Je cavale toujours dans le chemin nocturne parfumé de pailles et de robes. Au bout de l’allée cavalière boisée de claires-voies, je vois une grande étendue bleu nuit peuplée de créatures à la robe illunée. Immobiles et silencieuses, une étoile filante passe et disparaît loin, très loin avec le paysage noir aux crinières chimériques...



Grotte de Lascaux - Chevaux


 

Arbres






il y a fort longtemps des pas dans la forêt armoricaine
des poussées de magma des cris d'animaux à peine fossilisés
les arbres poussent sur les coulées de plasma tranquilles
des huiles noires traînent autour des arbres carbonisés vivants
écorces de braises sur troncs longs étirés loin
les feux et les sèves parfument le ciel invisible
chaleurs envahissantes bleues
les arbres attendent là-haut
ciel bientôt dévoilé





Pierre-Marie Ziegler - Passage - 2002



La reine





Fleur bleue parfume éternelle
Corps de la rêveuse embaumée
Lunes blanches éclairent sainte
Corps neige et pierre blanche
Chair fondue dans jaune dieu
Blanc infini dans la reine
Chant de la chair clair
Couronnée vers la fleur
Coeur bat pour bleue dieu
Mère dans soleil bleu
Belle endormie renaît



Thierry Diers - La belle endormie - 2008


Sous-marine








Rouge sous-marine
Raie des cheveux ondulés de bains
Yeux rougis par l'eau intense
Respiration hors de l'espace corallin

Raz de marée jaune et concentré
Replongée la tête dans l'écarlate
Yeux ouverts sous les rouleaux
Rouge sous-marine







Mark Rothko - Red, Yellow, Red - 1969



Les jambes



Jambes d'homme avec chien blanc en laisse regardant grille d'égout
Le haut de l'homme disparu dans le noir urbain
Visage et corps dispersés dans les cendres citadines
Les jambes seules résistent aux feux de la ville
Chien blanc terrible son regard halluciné dans les fers barrés
Les jambes noires de l'homme inconnu tirent la laisse
Encore le chien très blanc pattes immaculées résistantes à l'homme pressé
La laisse tirée tournée tendue violente
La rage dans les yeux du chien échiné
Mâchoire ouverte crocs et pics de fiel
Les yeux du chien fixés fort sur le regard d'égout
Chien résistant aux jambes tourmentées pressées
Le regard d'égout plus fort dans les yeux du chien sombres regardant plus bas
Chien très sombre regardant plus bas encore entre les grilles rouillées
Le chien a les yeux rouges le cou étranglé la langue pendue
Les jambes de l'homme engourdies par la laisse
Le chien change de regard et d'âme
L'homme tombe se consume à petits feux dans le goudron
Le chien immaculé déchu chute


Francis Bacon - Man with dog - 1953



Souffle








Ce qui court vers moi est sombre dans l’âme…
Ce qui court autour de moi est plein de solitude et joyeux.
Présent dans les moindres airs qui entourent les feuilles des arbres.
Les arbres pris dans ses racines aériennes longent la densité de l’air.
Limpide l’air. Aérienne la joie.
Et vient le rouge. Matière. Rouge flottant dense.
Là est-il.
Mes pieds ancrés dans la terre, le rouge souffle.
Atmosphères sereines, longs vents, chants et grands arbres,
le rouge s’empare de moi.






Mark Rothko - Marron et noir sur rouges - 1957



Mouvements









Cycles mouvements énergies, les voitures suivent les courants et le soleil chauffe là où poussent les palmiers blancs. Ondulées les carrosseries bleues et lourds les nuages chargés d’eau de mer, la remorque abandonnée sur les bas-côtés tremble. Les noix tombent, les fibres ligneuses brunes se déchirent. Coques éclatées, l’autochtone a vu. Court vite, court vers les hauts l’autochtone. La vague violente volcanique. Le grand palmier blanc, frais dans les bains, la plage a disparu.









Mark Rothko - N°61 (Brown, Blue, Brown on Blue) - 1953



La route






La car wash bleue métallisée lave, dépouille, blanchit les tôles à quatre roues dépravées. Tombent dans la désuétude les routes traversées aux paysages de brume, opaques, champs recouverts de bouses, de boues, de peaux, d’urines. Les moteurs roulent, brûlent, enfument, fenêtres ouvertes, les oxygènes, les cheveux s’envolent dans les gaz échappés. Plus loin encore sur la route, les cheveux, les arbres, les cheveux, plein d’arbres, les arbres, les chevaux, plein de fleurs, les chevaux, les fleurs, joyeuse la route, partout, plus loin encore, les chevaux courent, la route est longue, heureuse, les visages reposés dans le frais du soir, la prairie est verdoyante, parfumée, les cœurs embaumés, partout, la route joie, la route vie, la route noire où brille depuis longtemps, fort longtemps, si loin et si présente, partout, roule vite la route joie, la route vie, la route noire où brille partout, une étoile, partout, l’étoile du Berger.







Mark Rothko - N°6 (Violet, Green and Red) - 1951



Vision







Indéfini cet espace de bambouseraies orangées et le soleil couché peut-être ou bien la poussière, les pollens des fleurs d’orangers détachés. Une barre noire traverse ces éclairs colorés. Peut-être des phosphènes me jouent-ils des tours et de la fumée rose sort des deux côtés du terrain cultivé de terre concentrée de particules pigmentaires. Des bâtonnets sont plantés çà et là plus loin sur un sol sablonneux. J’entends des résonances au fin fond du jardin. La barre noire revient et rétrécit considérablement mon champ de vision. Des lames verticales dansent autour. Des végétaux alcaloïdes déposent leurs sels et rendent l’air amer. Je m’accroche à quelques troncs de bois de vieux chênes qui m’apaisent et me sortent de l’embrasement de la vision.







Mark Rothko - Untitled (Violet, Black, Orange, Yellow on White and Red) - 1949



Asphalte









Bleu l'asphalte les voitures passent.
Certaines sont noires d'autres outremer.
Un gros barrage de goudron noir.
Les feux sont éteints ni rouges ni verts.
Un grand camion blanc au toit jaune hors de la bleue.
Il flotte.
Illuminée la route.








Mark Rothko - Untitled (Blue, Dark Blue, Yellow) - 1950



Végétal










vert divisé par bleu
vert envahi de bleu alentour
vert effacé presque
végétal effacé frotté par sables bleuis
mer joyeuse









Mark Rothko - Untitled (Green divided by Blue) - 1968



Rivière










Monte monte la rivière brune vers le haut dévoilé bleu









Milton Avery - Spring brook - 1955



Chimpanzé









Traverse le bois dans le fuchsia aux lignes bleues.
Le chimpanzé accroupi contemple la ligne d'horizon.
Caisse claire brune supporte le poids du bleu chimpanzé.
Fou est-il, le bleu animal dévisse le dessus de la caisse boisée.
Le chimpanzé détresse le bois à l'infini...










Francis Bacon - Study for chimpanzee - 1957



Piano noir






Le piano foudroyant noir de Nicolas joue des notes sombres. Beaucoup de dièses. Ici et là un bécarre. Les partitions sont si blanches que tu ne vois plus les notes ni même les noires. Les blanches font leurs rondes. Elles te donnent le tournis. Autour de toi tout est rouge flamboyant. Le papier peint se décolle tout doucement. Nicolas s'envole.





Nicolas de Staël - Le Concert - 1955



Sable orange










Sable orange blanchi par le soleil envahit la mer outremer.
Amertume de la plage : il ne reste plus qu'une parcelle d'eau salée.
Sable irrégulier aux âmes striées orange-jaune-bleu recouvre le ciel bientôt disparu.
Sable étendu partout, seul le soleil est frais et rose.










Mark Rothko - Untitled, Multiform - 1948



Horizontal









trait vert horizontal
je marche dessus
grand bleu violet envahissant
étouffant azur
quelques jaunes herbes cherchent la sortie de ce grand mur
la terre est le jardin bordé de roses
autour








Mark Rothko - Untitled (Blue, Green and Brown) - 1952



Ange






la folie de l'ange
embarcation blanche

brisure des formes
rouge envahissant

rien ne va plus
le déluge ou la chute

à lui de choisir...

il y a de fines lignes rouges dans l'azur
l'ange saigne-t-il ?





Mark Rothko - Untitled (works on paper) - 1949



Brun sable








brun sable avec ciel profond azur
la plage mangée par la mer des deux côtés
la terre est en haut
quelques traces de coquillages noirs
une prairie bleue nous donne l'oxygène
l'oxygène étoiles invisibles de l'azur foncé
je ne vois plus mes pieds plongés
dans le sable ocre et mouillé








Mark Rothko - Untitled, N°5 - 1949



L'orange








l'homme passe blanc
fou de noir et tête orange autour
les pieds dans la grasse herbe
une orange dans la main
fou du noir de la queue du fruit
il laisse un trait noir avec ses pieds
et au milieu un rai de lumière
c'est l'ange Magenta aux ailes noires







Mark Rothko - N°3/N°13 (Magenta, Black, Green on Orange) - 1949



Le peintre du Sublime





Celui qui descend de Croix, Nu comme la pureté du Verbe, Le Corps longé de lin, Embaumé d’huile parfumée, La Bouche délaissée, Dans un jardin de paraboles, Plantées par le Souffle perdu, Les Mains délicates embellies, Par la vérité du geste, L’Homme abandonné, Par la Voix cachée et retrouvée, Dans le noir bleuté, Saigne de passion, Dans les mains du peintre. Depuis deux mille ans, Le peintre cherche, Le Christ habité, Secrètement, Dans les fibres de la toile. Le peintre aux mains couleur nuit des temps, Pris dans le tourment de la création, Peint dans une matière orageuse, Des scènes de guerre, Aux martyres des Saints, Des paysages et des portraits, Au visage lumineux d’un enfant, Et ce, En étreignant de sa main noire, Celui qui l’a sauvé






Franck Longelin - Déposition de Croix - 2005